Il existe en musique comme en philosophie des époques charnières. La fin des années 60’s avec l’avènement du psychédélisme et de la pop en ait une. La fin de la décennie suivante après les errements de la musique progressive devenue trop démonstrative en est une autre. Une décennie qui a vu apparaître le mouvement punk renouant avec les groupes garages des années 60’s ; une musique dépouillée et brutale qui était toujours restée confidentielle.
Et s’il fallait retenir une année particulière, ce serait l’année 1977. Car cette année-là sont sortis dans cet ordre les premiers albums des Damned, des Sex Pistols, des Clash, de Suicide et de Wire, ce qui pourrait faire penser que la période précédente n’avait été qu’un intermède dans le but de faire germer les graines de la renaissance musicale.
A la fin de cette même année sort leur EP « spiral scratch » composé de 4 titres, un brulot punk typique de l’époque. Suivront 3 albums qui auraient mérité chacun d’entre eux de figurer dans cette chronique. Ce qui frappe en les écoutant, c’est leur ligne mélodique accrocheuse (guitare cristalline, voix haut perchée du chanteur Pete Shelley et basse discrète) alliée à l’énergie brute, ce qui donne une étrange alchimie conciliant l’esprit de la pop à l’ancienne (Beatles et Kinks en tête) avec l’urgence du minimalisme punk.
Cette particularité est principalement due à la culture musicale de Pete Shelley qui se prend très tôt de passion pour les Beatles, puis pour Bowie avant de s’imprégner des inflexions vocales de Bryan Ferry, enfin de la musique hybride des Ramones qui se situe entre le surf et le pub rock. Le groupe ne cessera d’user de ce cocktail anachronique, ce qui les démarquera de la concurrence de l’époque et les fera rentrer non seulement au panthéon du genre, mais au-delà, de la musique pop en général.
Et comme il faut faire un choix, nous passerons en revue leur premier album « another music in a different kitchen » avec sa pochette sobre et esthétique où se détachent dans le clair-obscur d’un rectangle les visages des 4 membres du groupe. On pense également à la superbe pochette vaguement géométrique de leur troisième album « a different kind of tension ».
L’album débute par une des plus belles intros de l’histoire de la musique : « fast cars ». 2 mn 30 effrénées pendant lesquelles la guitare, le refrain et la basse se répondent successivement avec une rare efficacité. Puis suivra « no reply » et « you tear me up » dans la même veine et dans un laps de temps aussi court, ce qui laisse à peine le temps d’apprivoiser leur musique. On entend pourtant parfaitement toute la subtilité des musiciens. Et au milieu des rugissements enfantins du chanteur, on suit la ligne serpentine de la guitare comme sur « get on your own ».
Dans « love battery », le texte explicitement sexuel s’efface devant le refrain entraînant. Et l’on oublie vite la légèreté du sujet, car bizarrement les Buzzcocks ne vous donnent qu’une envie : vous lever de votre siège pour aller danser. Deux mots vous viennent à l’esprit pour les caractériser en les entendant : punk mélodique. Comme seront seul capable de le faire plus de deux décennies plus tard « the Libertines ». Leur descendant direct dans la lignée des grands mélodistes énervés.
Encore une fois, difficile de rester en place en écoutant « sixteen », un morceau sublime qui avec sa plage vaguement expérimentale permet aux roulements de batterie de mieux rebondir à l’image d’une armée en ordre de marche. Avec « i don’t mind », un de leurs singles, on se demande pourquoi depuis l’invention de la guitare électrique personne n’avait encore pensé à l’écrire tant la ligne mélodique claire qui se détache paraît à la fois si simple et si évidente.
« fiction romance » avec son riff entêtant continue l’exploration. Le morceau n’est qu’une mise en bouche du suivant « autonomy » qui poursuit la même rythmique au point qu’il semble en être la continuation. Vient ensuite « i need », un titre qu’on peut qualifier de punk au sens strict du terme, mais que Pete Shelley arrive à rendre presque « poppy » avec sa voix adolescente.
On termine par les 7 minutes (vous m’avez bien entendu) du « moving away from the pulsebeat » qui tranche avec le reste de l’album avec son beat à la Bo Diddley et ses rythmiques primitives. La guitare ne cesse d’apparaître et de disparaître au milieu des percussions tribales. Le morceau finit même par une étrange sonorité électronique après une longue coupure. Le CD sera agrémenté de 4 titres sortis en single. Parmi lesquels, on trouve « orgasm addict » et « what do i get ? ».
Le guitariste Howard Devoto quittera les “Buzzcocks” avant même la sortie de l'album pour former le groupe « Magazine » en se posant en initiateur du post punk. Et la même année sortira dans la foulée le fabuleux et diversifié « real life ». Une œuvre avant-gardiste surprenante, comme quoi le talent n’était pas seulement dû au seul Pete Shelley. Il est à noter aussi que le groupe se reformera en 1993 et sortira en 1996 l’album « all set » qui sera une totale réussite. Un cas rare de reformation aboutie dans l’histoire de la musique. Pete Shelley et Steve Diggle (l’autre guitariste) n’ayant pas perdu leur talent d’écriture avec le temps.
Autres albums conseillés :
Loves bites
A different kind of tension
All set
Singles going steady (compil)