1984 est prophétique à plus d’un titre et illustre parfaitement les politiques totalitaires que nous avions crus trop vite disparaître et qui non seulement reprennent de la vigueur, mais semblent aussi de plus en plus décomplexées. Les dernières dérives d’une autocratie comme la Russie qui se transforme sous nos yeux en état totalitaire sont en cela un exemple significatif.
Et les arguments pour justifier cette transformation inquiétante sont sensiblement les mêmes qui sont utilisés dans l’œuvre d’Orwell pour soumettre les individus. On prend prétexte d’un danger extérieur supposé pour écarter toute contestation. Une guerre lointaine et à peine tangible qui influe sur toutes les décisions politiques et prive les individus de toute liberté, jusqu’à la liberté de penser. On n’hésite pas aussi à réécrire l’histoire, à modifier les textes officiels pour valoriser la gloire passée. Dans 1984, la réécriture des textes est permanente. Un état avec qui l’on est en guerre se transforme du jour au lendemain en allié selon les intérêts du moment et vice versa. Des héros jusqu’alors vénérés sont complètement effacés, d’autres personnages oubliés sont au contraire réhabilités. On s’invente un ennemi, celui-ci intérieur, pour fanatiser les foules comme un mystérieux « Goldstein » qui canalise toutes les haines.
Orwell pousse l’emprise de l’état jusqu’à ses extrêmes conséquences. Dans le roman, toute vie sentimentale est proscrite. Et il y a l’utilisation de la novlangue, la langue officielle d’Océania, une langue simplifiée, appauvrie qui annihile l’esprit critique et interdit la pensée complexe. Et aussi la double pensée qui permet d’adopter 2 opinions contradictoires sans les lier, ce qui écarte toute possibilité de conflit interne, et permet dans ce cas précis d’évacuer le réel pour se conformer à la doctrine.
On pense aux vocables utilisés par l’état russe en attaquant l’Ukraine : opération spéciale. Des mots qui ne servent qu’à masquer la réalité, en l’occurrence une véritable guerre qu’on s’interdit même de nommer. Il va de soi que le Big Brother du roman qui surveille chaque recoin (au sens propre) de votre existence et qu’on vénère comme un guide indépassable a fini par devenir une figure métaphorique des régimes dictatoriaux qui avec les technologies actuelles ont des moyens de contrôle encore insoupçonnés au moment où a été écrit le roman.
Un roman qui nous interpelle plus de 70 ans après sa publication sur la fragilité de nos états démocratiques dans un monde livré au cynisme, à l’indifférence et au relativisme. On est toujours interloqué devant la complaisance de certains de nos politiciens, en toute bonne foi ou pas, pour des dictatures qui ont le vent en poupe. Et 1984 reste une source de réflexion sur notre monde et ses dangers, alors que nous avions cru trop longtemps que nos libertés étaient acquises et que les idéologies étaient révolues. Et il est conseillé de lire et relire 1984 qui vous rappellera malheureusement notre tragique réalité contemporaine.