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Amandine ou le fruit défendu

Contour du livre Amandine ou le fruit défendu
  • DESCRIPTION

  • AUTOBIOGRAPHIE

  • EXTRAIT

Abandonné par son père à la mort de sa mère, élevé par une grand-mère possessive et un grand-père lunaire, le narrateur, un enfant introverti et passablement mégalomane habitant le sud de la France fait partie de ces êtres que personne ne remarque. Pourtant dans le jardin municipal où il passe ses après-midis d’été, la belle et fascinante Amandine descendue de la capitale pour les grandes vacances tente étonnamment de le séduire. Dans son incapacité à gérer ses émotions face à celle qui s’avérera être son exact opposé, ses délires récurrents vont alors peu à peu prendre d’inquiétantes formes qui auront des conséquences aussi inattendues que tragiques pour son entourage…


Auteur:

Frédéric FINANCE


Éditeur:

Maison d'édition Spinelle


Genre:

Roman (Broché 21 x 14,8 x 1,32 cm)


Nombre de pages:

204


Poids:

253 gr


Date de publication:

19 janvier 2024


ISBN:

978-2-37827-893-9

Chapitre I

Assis derrière mon bureau, je viens de refermer le carnet enfin achevé qui repose devant moi et tout un tas de souvenirs m’envahit recomposant la trame de mon existence alors que dehors le temps est menaçant. Ma confusion mentale est aussi manifeste que quand les premières traces d’encre ont parsemé mes esquisses, des notes à l’origine de mes confessions (j’emploie ce terme parce qu’il faut bien nommer mes écrits d’une quelconque façon). Et aujourd’hui encore à l’âge de soixante-trois ans, un jour avant mon entière disparition, il m’est toujours impossible de ressentir l’unité de mon moi dont j’avais perdu le contrôle depuis plus de 5 décennies.

Je naquis en 1957, un 28 mars. Mon père, un être instable, violent et puéril, natif de Lyon, un modeste commerçant de son état, avait incarné à l’heure de mes premiers pas dans l’arène du monde la figure paternelle toute puissante, pour ne pas dire despotique, jusqu’à ce que ma mère sténodactylo dans une banque, originaire de la région parisienne, meure seule dans un banal accident de la circulation par une nuit de brouillard le long d’une anonyme départementale, alors que je n’avais que 5 ans.

Il ne me reste d’elle que des fragments de souvenirs perdus revenant souvent dans mes rêves : réminiscences de sourires, de caresses, de criques ensoleillées, de promenades printanières le long d’une langoureuse rivière dans un pays inconnu, d’un vague jardin de la couleur de l’éden. Certainement celui du pavillon de mes grands-parents maternels qui habitaient une ville portuaire des bords de la méditerranée. Ce sont eux qui me recueillirent à sa mort. Quant à mon père, après l’enterrement de ma mère, je ne le vis plus jamais. D’après ma grand-mère, il avait reconstruit une nouvelle vie ailleurs. Je ne sus jamais où se trouvait ce mystérieux ailleurs et longtemps, je m’étais interrogé sur le sens de l’expression : nouvelle vie.

Cependant, je n’avais pas eu comme on pourrait le croire une enfance malheureuse. Accueilli par des hôtes qui se révélèrent obligeants, trop jeune lorsque ma mère était morte pour en être durablement traumatisé, du moins l’avais-je pensé pendant des décennies, débarrassé d’un père tyrannique, j’avais été tout, sauf malheureux. J’avais de surcroît éprouvé de la tendresse pour mes dévoués et providentiels tuteurs qui me choyèrent : mon grand-père, ouvrier mécanicien dans un arsenal, un homme effacé et bienveillant, et ma grand-mère, femme au foyer attentive et fidèle, toujours vêtue de robes épaisses et rêvant secrètement à des amours romantiques.

Je passais le plus clair de mon temps en leur compagnie entre la cuisine de ma grand-mère qui fut une excellente cuisinière et la serre aménagée en atelier par mon grand-père, bricoleur autodidacte et génial. Les fumets de légumes farcis aux bœufs, de bouquets garnis et de bricks à l’œuf répondant aux senteurs fruitées d’huiles lubrifiantes et de graisses. Je ne négligeais cependant pas le jardin faisant de celui-ci un champ d’expérimentation. J’avais remplacé dans mon esprit au gré de mes humeurs ce carré de verdure en zone de guerre ou en territoire inexploré sous les paillettes de soleil et d’ombre des glycines. Utilisant le gravier et les pierres de l’allée pour ériger des châteaux forts ou des bases secrètes que je cachais parfois derrière les fleurs mauves du Fabaceae au grand dam de ma grand-mère dans le but de terrasser un ennemi invisible.

Des idées d’édifications allégoriques que je puisais dans les livres d’aventure que je récupérais dans la bibliothèque du couloir. Je suivais à ces occasions les péripéties de héros qui enflammèrent très tôt mon imagination élargissant mon univers restreint et quelque peu édifiant jusqu’à me métamorphoser progressivement pendant une courte et féconde période de mon enfance en un parfait mégalomane se voyant promis au plus brillant destin, se persuadant même d’être un prochain Napoléon. Ma prédiction ne s’était bien sûr jamais réalisée.

Durant toutes ces années de découvertes, j’avais fréquenté une école primaire située à quelques pâtés de maisons de notre pavillon. Ma grand-mère m’y amenait chaque matin à pied et revenait le soir me chercher avec un goûter copieux qu’elle emballait dans du papier argenté. Elle me disait toujours avec conviction et gravité qu’il fallait bien se couvrir pour ne pas tomber malade. Qu’il fallait ne pas toucher aux clous rouillés qui avaient le pouvoir de vous faire mourir dans d’atroces souffrances ! Elle craignait par-dessus tout la tuberculose et le tétanos. Qu’il fallait surtout bien manger et si possible avec appétit si je voulais un jour devenir aussi grand et fort que papi ! En ce qui concernait cette dernière recommandation, je n’en croyais bien sûr pas un mot, mais je mangeais néanmoins chaque fois son goûter avec l’avidité qu’elle espérait.

Que dire de cette école qui ressemblait à toutes les écoles de France et de Navarre, si ce n’est qu’aucune fille n’y était autorisée à entrer, la mixité n’ayant pas encore été généralisée. Il y avait une cour de récréation goudronnée où l’on jouait au foot en se prenant pour des avants-centres de nos équipes préférées. Des classes poussiéreuses que nos prédécesseurs hantaient, surchauffées l’été, froides l’hiver, avec des pupitres en bois usés et tailladés, des tableaux noirs couverts de craie grasse qu’on pouvait effacer à l’aide d’une brosse. Nous portions des blouses qu’on revêtait à contrecœur. On nous distribuait des polycopiés à l’encre violette dégageant une étrange odeur euphorisante à base d’alcool. Nos premières drogues.

Sur nos petites tables s’entassaient pêle-mêle colles parfumées d’une couleur blanche ayant le nom d’une reine antique qu’on retirait d’un pot avec une spatule, compas, règles graduées, taille-crayons, stylos baveux, trombones, feutres, crayons à papier, ciseaux, papiers buvards, avions en papier, trousses, alors qu’autour de nous les murs étaient recouverts de cartes géographiques et du fameux et intrigant tableau périodique des éléments chimiques qui semblait détenir des secrets qui échappaient à ma compréhension.

La scène d’une journée de classe était interprétée invariablement indépendamment de la saison, la météo ou n’importe quel paramètre extérieur par un instituteur assis ou debout derrière son bureau surélevé par une estrade, le personnage central de cette représentation, en principe assez indulgent avec moi en dépit de mes résultats médiocres eu égard à mon statut de quasi-orphelin, et par des élèves en nombre important, les figurants, la plupart des brutes assez grossières tout juste civilisables que je tolérais de la hauteur de ma mégalomanie grandissante.

Et si j’ai écrit ces confessions, je mettrai à part mon souhait extravagant de me faire éditer qui n’était qu’un contrepoint, c’était avant tout pour chercher à la source des éléments qui expliqueraient mon état psychique et m’aideraient par conséquent à me soigner, sans aucun succès d’ailleurs, car j’en étais resté au même point 52 ans après l’apparition de mes premiers symptômes datant de l’été 1968, l’année de mes 11 ans, là où tout avait débuté, l’été où j’avais rencontré Amandine, celle qui deviendra par la suite ma femme. Tout revêtait depuis cette époque une double signification comme si mon moi m’était étranger, et que quelqu’un quelque part en avait pris le contrôle en faisant dérouler ma vie comme un voyage grotesque et dépourvu de sens.

Le lecteur ne percevra cependant aucun indice indiquant une maladie quelconque. Rien ne lui paraîtra bizarre ou si peu. Certes, l’ineptie de mes prétentions lui sautera aux yeux. Mon esprit froid et calculateur, et mon absence totale de moralité l’effaroucheront. Mais tous auront le sentiment de partager le quotidien d’un être humain raisonnant de façon logique, et d’une santé mentale située dans la moyenne des statistiques des cas cliniques recensés par nos chères institutions. Un être humain qui aura même connu une longue période de bonheur dans sa vie. Je rajouterais à toutes fins utiles que connaissant précisément le moment où je glissai dans la confusion, je ne trouvai pas nécessaire de faire débuter mon récit avant l’été 1968, n’en déplaise à ceux qui auraient souhaité une autobiographie (qui ne sera en fait que des bouts de récits) plus complète.

Je vous avouerai néanmoins avoir hésité à vous parler du petit voyage effectué en Suisse, l’hiver précédent, qui avait été rétrospectivement une sorte de pèlerinage annonciateur de ce qui allait advenir l’été suivant, pour la simple raison que j’y avais connu Lucy, une douce créature nonchalante aux mains fluettes et à la peau dorée, d’une ascendance suisse et créole. Elle avait les cheveux clairs des alpages et crépus des îles paradisiaques, et les yeux du même vert que le jade du pendentif de ma grand-mère ; des attributs qui me laissèrent assez indifférent.

D’emblée, elle avait été attirée par le garçon maladroit et timide que j’étais à cette époque et étrangement, je ne l’avais pas repoussée, observant avec surprise et curiosité ses contorsions passionnées de petite fille. Je n’avais cependant pas accordé grand-chose à cette malheureuse. Je n’avais eu avec elle qu’un éphémère et unique contact physique après avoir tendu gauchement ma main dans un réflexe entaché de compassion pour la relever lorsqu’elle s’était étalée devant moi après avoir glissé sur une plaque de verglas au pied d’une piste de ski du Valois par un bel après-midi d’hiver.

La langoureuse enfant toute confuse par cette étreinte secourable et inattendue avait alors gardé sa main dans la mienne une ou deux secondes avant que je ne la retire précipitamment presque honteux de m’être laissé surprendre par une manifestation de pitié. Je vois encore sa mince silhouette emmitouflée dans son anorak se découper sur le bleu profond du ciel et ses yeux verts quasi minéraux me percer du regard avec une indicible tristesse devant ma réticence à lui ouvrir mon cœur, ce qui je dois l’avouer m’avait à mon grand étonnement un peu troublé.

Je n’avais toutefois pas jugé opportun d’en parler malgré l’importance de ce qui s’était passé en raison certainement de mon peu d’envie d’entreprendre ce voyage. Mes grands- parents m’ayant forcé à m’y rendre après avoir été démarché par un vague cousin de mon grand-père à moitié Suisse, à moitié voyagiste, et pleinement bonimenteur. Je me souviens encore comme si c’était hier les avoir suppliés de renoncer à cette folie après avoir découvert, à l’intérieur de la brochure illustrée de photos de paysages de montagne vantant les mérites des vacances en haute altitude qu’ils m’avaient donnée en pensant me convaincre, un terrible fascicule d’inscription.

Celui-ci stipulait, je cite : notre centre culturel et de plein air étant largement pourvu d’appareils de reproduction sonore, l’emploi de transistor personnel reste interdit. M’empê- cherait-on d’écouter de la musique comme je l’entendais ? Au paragraphe suivant, je lus avec effarement : aucune invitation ne sera faite à des visiteurs éventuels sans en avoir formulé la demande au préalable au directeur de la session. Déclaration menaçante qui réduisait considérablement les chances de visite de mes grands-parents qui n’auraient de toute façon, faute de moyens, jamais eu la possibilité d’effectuer le déplacement de l’autre côté de la frontière.

Toujours assis derrière mon bureau tandis que la pluie s’était mise à tomber et que les souvenirs continuent à m’assaillir, je me remémore à présent en cette matinée de l’année 2020 le jour de notre mariage célébré 42 ans plus tôt après avoir posé devant moi une photo que j’avais retrouvée dans les affaires d’Amandine ce matin même, une photo aux couleurs légèrement voilées qui ne cessait de m’interpeller par la dissemblance avec le temps présent, une photo prise juste après que nous étions sortis de l’église.